Une aventure de poche #3 : le Tour à pied du lac d’Hourtin, dans la nuit et le brouillard

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Chacun sa méthode. Certains, affligés comme moi d’une “rhino-trachéite” (toux, sinus bouchés, fièvre légère), font une cure de médicaments. D’autres gardent le lit avec une pile de magazines. Moi, je me lance dans une marche au grand air.
Seulement, la météo m’avait menti. Grand soleil dès midi, affirmait-elle. La seule journée de la semaine, et presque du mois, qu’épargnaient les nuages et la pluie. Sur place — c’est-à-dire, sur les berges du lac d’Hourtin qui se revendique plus grand lac du pays (il se classe en fait bon 5e) —, l’atmosphère est humide, et très fraîche : quatre ou cinq degrés, un brouillard à couper au couteau. J’avais prévu une petite randonnée, une boucle dans la pinède tout près de l’océan. Mais voilà qu’une folle ambition s’empare de moi : et si je “tournais” le lac à pied ? Il est déjà 14 h. Dans trois heures, il fera nuit. Avec ce froid, ma lampe frontale aux piles faiblissantes, ma batterie de secours que je n’ai pas rechargée, ce n’est vraiment pas raisonnable… Parfait, allons-y.

On ne croise vraiment pas grand-monde, l’hiver, dans les pinèdes atlantiques. Trois chasseurs de sangliers, deux jardiniers municipaux, quatre cyclistes tout-terrains qui s’échinent dans des raidillons sablonneux. C’est tout. J’avale sentiers, pistes cyclables, routes inondées à grandes foulées, conscient de mon privilège bientôt aboli de marcher en journée. La forêt est quadrillée de chemins en tous sens, dont la géométrie monotone s’affiche sur l’écran de mon GPS. Je traverse des villages fantômes, des installations sportives au bord de l’eau qui s’ennuient sous la bruine. En été, il y a foule ici. Mais à la morte saison, pas une voiture sur les parkings que je traverse en diagonale.
J’espérais secrètement que la nuit ne tombe pas. Elle tombe. Le pâle halo de ma lampe frontale n’éclairerait pas un panneau à deux mètres. S’ajoutent les grognements de sangliers que j’entends tout près, dans les fourrés, et qui me paralysent d’effroi ; ma tenue intégralement sombre, celle plutôt d’un montreur de marionnettes que d’un randonneur nocturne. Il reste au moins 25 km à marcher… / /

Une voiture s’arrête. Malgré mon allure louche, le conducteur me prend en sympathie. “Vous marchez dans la nuit !” s’apitoie-t-il. Il veut me déposer quelque part. Je brode un mensonge : merci mais non, ma voiture est tout près. La bonne blague !
La seconde partie du trajet (rive orientale du lac) est goudronnée. Les automobilistes des Landes connaissent bien ces droites monotones, longues de dix, douze, jusqu’à vingt kilomètres, qui semblent tracées exprès pour y commettre des excès de vitesse ou y percuter des animaux sauvages. C’est ennuyeux, au volant. Mais à pied, c’est bien pire. Surtout de nuit, dans le brouillard. J’apprends à gérer le peu de clarté que ma frontale peut encore fournir. Je la garde éteinte, le plus souvent. Même dans l’obscurité totale, les bandes blanches au sol suffisent à me guider. Quand survient une voiture, paradoxalement je l’allume : seule façon de me signaler aux automobilistes.
À Hourtin, deux commerces ouverts : un restaurant (une seule table occupée) et un snack où je commande un panini fromage que j’avale debout pour me réchauffer. Sur la place déserte, les décorations de Noël tâchent d’égayer ce sinistre décor de station balnéaire hors-saison.

Arrivent une jeune femme et son bébé, puis la grand-mère. La grand-mère raconte qu’ils viennent de croiser le père au volant d’une belle voiture, assis à côté de sa nouvelle compagne, et qu’il n’a pas daigné sortir pour voir son enfant. La jeune mère éclate en sanglots.
Je marche d’une traite les 13 km d’Hourtin à Carcans, une route rectiligne et sans éclairage, nombreuses voitures de face et quelques-unes de dos. Peu de distractions, sauf une harde de chevreuils que profile un instant la lueur des phares, un mégot jeté sur le goudron qui fume dans l’air froid. Je chante pour repousser les sangliers.
Encore un effort, et me voici à mon auto. 49 km au compteur. Pas mal, pour une remise en jambes. Je branche mon téléphone qui n’en peut mais, échange mes tennis de marche pour des souliers de ville, pisse contre un arbre. Mon trajet du retour, automobile cette fois, suivra en partie mon circuit pédestre. Enfiler à 90 km/h cette route dont je viens, à pied, d’égrener chaque mètre, m’offre une sorte de vengeance.
Quand je rejoins enfin mon lit, il est deux heures du matin.

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